par Dominique Dutartre
(Président d’honneur du pôle de compétitivité Industries et
Agro Ressources)
Dans son acception la plus large, la bioéconomie est l’économie de la photosynthèse. Elle prend en compte l’ensemble des activités liées à la production, à l’utilisation et à la transformation des bioressources. Elle a l’ambition de remplacer progressivement les matières premières fossiles par de la biomasse renouvelable afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Elle vise à satisfaire, de façon durable, les besoins alimentaires et une partie croissante des besoins en matériaux et en énergie en garantissant la production de services environnementaux de qualité.
Dans cette perspective, les productions agricoles, aux côtés des productions sylvicoles et aquacoles assureront une part significative des bioressources renouvelables. L’accroissement de la demande, liée à l’élargissement des domaines d’utilisation, est il compatible avec une agriculture multifonctionnelle plus durable ?
Autrement dit, quelles sont les conditions pour un mariage réussi de l’agriculture et de la bioéconomie ?
Il faut, d’entrée de jeu, affirmer avec force que la vocation première de l’agriculture est et sera toujours de fournir à la société une alimentation saine issue de systèmes de production appropriés minorant les impacts sur les milieux naturels et favorisant la biodiversité. Oublier le « food first » serait prendre le risque, à terme, d’un rejet sociétal
de la bioéconomie. Donner toute sa place à l’alimentaire dans la bioéconomie est, au contraire, un gage de réussite et de resserrement du lien social entre agriculture et société.
Les attentes sociétales pour une alimentation plus « naturelle », plus proche et moins carnée vont entraîner des évolutions significatives pour l’agriculture. Ce volet alimentaire porte des perspectives nouvelles pour l’agriculture. A titre d’exemple il conviendra d’accroître la production de légumineuses pour répondre à la fois à une demande accrue en protéines végétales et réduire parallèlement la dépendance des grandes cultures à l’azote minérale. En outre, l’allongement des rotations par l’introduction de nouvelles cultures sera favorable à l a biodiversité.
A n’en pas douter des formes nouvelles d’agriculture vont se développer en périphérie urbaine pour répondre aux attentes nouvelles de nos concitoyens en matière alimentaire et environnementale. Le projet “d’happy vallée” entre Roissy et Paris est de ce point de vue très intéressant. Ce projet imagine une nouvelle manière de vivre, de travailler, de circuler, de se nourrir et de consommer en Ile de France. Fondé sur la recherche agronomique et agroécologique il a l’ambition de faire la démonstration de l’apport de la bioéconomie en matière de cadre de vie d’alimentation et de santé tout en créant de l’emploi et du lien social.
Le rôle de l’alimentaire étant rappelé, il conviendra de se préoccuper des aspects quantitatifs et spatiaux de la ressource aux différentes échelles de la parcelle, de l’exploitation et du territoire.
L’une des conditions importantes pour un mariage réussi entre agriculture et bioéconomie réside dans le fait que la bioéconomie doit être territorialisée autour de bioraffineries s’approvisionnant dans des périmètres de proximité et créant une activité et des emplois sur les territoires ruraux. A l’inverse, une bioéconomie articulée sur des bioraffineries portuaires qui reproduiraient le modèle logistique néocolonial des énergies fossiles est à proscrire des politiques publiques. Fort de cette condition primordiale, il deviendra possible de mener des études prospectives pour calibrer la taille et la nature des investissements en prenant appui sur un observatoire de la ressource actuelle et à venir afin de mesurer les impacts sur les systèmes de production.
Il conviendra alors de définir des priorités car les ressources ne seront pas infinies et à l’aube de cette grande mutation qui prendra nécessairement du temps, la création de valeur pourrait être un critère pertinent de choix. Il faudra alors compléter la valeur des biens produits par une estimation des services écosystémiques comme, par exemple , la fixation de carbone par le sol.
A ce titre la méthanisation est intéressante car elle peut permettre une production énergétique de gaz et de chaleur tout en assurant une restitution de matières organiques au sol par les digestats. De surcroît une partie des fournitures au méthaniseur pourra provenir de cultures intermédiaires à valorisation énergétique qui assureront une
couverture des sols en interculture, et amélioreront la fertilité des sols en favorisant l’activité biologique. Sur un plan territorial on pourrait utilement associer des éleveurs et des producteurs de grandes cultures pour tirer toutes les synergies d’un méthaniseur collectif.
Comme tout mariage celui de l’agriculture et de la bioéconomie est un pari sur le futur. Pour gagner ce pari il faut absolument innover pour rendre l’agriculture plus compatible avec une bioéconomie durable et faire en sorte que ce nouveau paradigme soit performant et profitable.
Innover pour une bioéconomie performante et durable c’est d’abord développer la recherche pour améliorer la durabilité des systèmes productifs car la ressource pèse un grand poids dans l’ACV (analyse du cycle de vie) d’un produit biosourcé. Pour ce faire il faut explorer le vaste champ des bio intrants, ce que commence à faire le RMT Elicitra, pour mieux mobiliser les ressources biologiques des écosystèmes et diminuer la dépendance aux intrants chimiques. Il faut accélérer les recherches dans les domaines de la stimulation de défense des plantes (SDP) et de la bio stimulation pour améliorer l’efficience des nutriments et accroître la tolérance aux stress abiotiques.
Cette grande mutation vers moins de chimie et davantage d’agronomie et de biologie nécessitera de revisiter les modalités d’élaboration des itinéraires de progrès. En effet les réponses seront diverses et souvent liées à la nature des écosystèmes et aux conditions pédoclimatiques locales. Il s’agira donc de recourir à « l’open innovation » où l’opérateur des pratiques sera associé à la co-construction des itinéraires, c’est vraisemblablement la fin des systèmes purement ” top down ” et la nécessité pour les chercheurs de se rapprocher des praticiens.
Cette synergie entre agriculture et bioéconomie est un gage de succès et pour rester dans la symbolique de ce fameux mariage, c’est la meilleure garantie pour qu’il soit fécond.
Ainsi, les destinées de l’agriculture et de la bioéconomie sont intimement liées pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur il conviendra d’intensifier les travaux de recherche sur l’efficience des systèmes biologiques en interaction entre la plante et le sol et plus généralement en interaction avec le milieu. Pour le meilleur encore faudra-t-il que les investissements (leur taille et leur localisation) tiennent compte des capacités de production actuelles et futures des territoires environnants. Et comme un mariage se construit dans le temps on donnera avantage, au début de cette nouvelle aventure, à la valeur plutôt qu’au volume afin de permettre la progressivité de cette prodigieuse mutation.
Souhaitons qu’à ces conditions agriculture et bioéconomie soient fécondes et contribuent à améliorer les conditions d’existence sur notre planète terre ou, pour le moins, qu’elles mettent un terme aux dérives qui, si elles se poursuivaient, conduiraient inexorablement à des catastrophes pour l’humanité.