Skip to content

Partagez
cet article

Le rôle du financement public européen dans le déploiement de la bioéconomie

Une bioéconomie pleinement opérationnelle et déployée à grande échelle peut apporter une contribution majeure au programme du Green Deal de l’Union Européenne afin d’atteindre nos objectifs en matière de climat et durabilité au cours de la prochaine décennie et jusqu’en 2050.

Les risques de la bioéconomie

A la suite de la publication de la stratégie de l’UE en matière de bioéconomie en 2012, mise à jour en 2018, l’on a assisté à une augmentation notable du financement public des activités de R&D liées à la bioéconomie dans les technologies innovantes à travers Horizon 2020 et d’autres programmes de l’UE tels que LIFE, ESIF, etc. Cependant, malgré cette activité intersectorielle collaborative axée sur l’impact qui relie les meilleurs chercheurs universitaires à l’industrie, la capacité à progresser et à transformer ce développement en réalité commerciale est trop souvent restée hors de portée. Ainsi, la bioéconomie a eu du mal à s’imposer face à la domination continue de l’industrie fossile, qui bénéficie d’économies d’échelle et d’une série d’aides gouvernementales. Ceci est principalement dû aux risques élevés liés aux investissements dans la bioéconomie. En effet, développer des solutions biosourcées et investir dans des bioraffineries entraîne un triple risque. Tout d’abord, le risque lié à l’accès à la matière première biosourcée. De nouvelles chaînes logistiques doivent être développées pour garantir un accès durable à la biomasse, tout en limitant la concurrence d’utilisation avec les applications biosourcées existantes (alimentation humaine et animale, textile, papier, bois et énergie).

Deuxièmement, et surtout, le risque technologique. Lorsque vous changez de matière première, vous devez adapter les processus et les technologies en conséquence. Or, les technologies pétrochimiques dominantes développées depuis plus de 80 ans à partir de ressources fossiles ne sont pas optimisées pour valoriser les matières premières biosourcées. Les biotechnologies sont, la plupart du temps, mieux adaptées. Même les procédés chimiques peuvent être complètement modifiés. Toutes ces nouvelles technologies doivent être développées jusqu’à l’industrialisation avec les risques inhérents qui y sont associés.

Enfin, les risques liés aux marchés ne peuvent être ignorés. Dans un marché saturé, les nouveaux arrivants doivent lutter contre des concurrents établis. Ceci est vrai non seulement pour les produits de substitution, où les industries biosourcées doivent rivaliser avec la courbe d’expérience de 80 ans des industries pétrochimiques, mais aussi pour les nouveaux produits avec de nouvelles fonctionnalités. Les besoins du marché auxquels répondent les nouvelles fonctionnalités sont déjà satisfaits par des produits établis. Les industries biosourcées doivent rivaliser à la fois sur le plan des prix (liés à la courbe d’expérience) et sur celui de l’acceptation par le marché.

Les industries biosourcées évaluent soigneusement les risques avant d’investir dans les infrastructures à grande échelle et à fort capital requis pour établir des usines à l’échelle commerciale et des bioraffineries avancées.

Pour tenter de remédier à ce manque de « premiers venus » du côté de l’industrie, le cofinancement public restera une approche nécessaire pour résoudre cet obstacle du marché. Ce type de financement peut être essentiel pour réduire les risques d’investissement tout en mobilisant des fonds supplémentaires et des ressources du secteur privé, comme l’illustre déjà le partenariat public-privé BBI JU qui a opéré pendant la période Horizon 2020.

L’importance du partenariat BBI JU

BBI JU est un partenariat public privé entre l’Union Européenne et le Bio-based Industries Consortium (BIC). Lors de sa création en 2014, le partenariat avait pour ambition d’investir 3,7 milliards d’euros d’ici à la fin de 2024 – 975 millions d’euros provenant du budget Horizon 2020, le reste étant financé par l’industrie. Avec le dernier appel H2020 récemment terminé et les subventions finales en cours d’aprobation, BBI JU a financé plus de 140 projets et devrait atteindre un effet de levier ciblé de 2,8€ investis par le privé pour 1€ de subvention. Les budgets de subvention et d’investissement privés les plus importants se concentrent sur les projets de « IA-Demo » et « IA-Flagships », adressant respectivement la montée en échelle et la réplication de bioraffineries. adressant respectivement la montée en échelle et la réplication de bioraffineries. Ces flagships, dont 13 au maximum auront été finances dans le cadre d’Horizon 2020, ont donné naissance à de nouveaux types de bioraffineries fonctionnant à l’échelle pré commerciale pour la première fois en Europe. Ils sont bien répartis dans l’Union Européenne et concernent des modèles d’entreprise et des matières premières très différents, et devraient permettre de réduire les émissions de CO2 de plus de 600 000 tonnes par an, tout en créant des milliers d’emplois, principalement dans les zones rurales et côtières.

FARMŸNG et AFTER-BIOCHEM

Deux exemples concernant le territoire français. Tout d’abord, le projet FARMŸNG, coordonné par la start-up montante française ŸNSECT.  Financé dans le cadre du BBI-JU, FARMŸNG vise à établir la plus grande usine industrielle flagship mondiale entièrement automatisée près de Reims, en France.

L’usine produira des protéines de qualité supérieure à partir d’un insecte spécifique – le ver de farine – pour la nutrition animale, en espérant s’attaquer au marché de la nutrition humaine dans les mois à venir, grâce à la récente classification de l’UE « Novel food » du ver de farine Tenebrio molitor. Un deuxième exemple est le projet AFTER-BIOCHEM, coordonné par la start-up française AFYREN-NEOXY, qui a obtenu une subvention de 20 millions d’euros du BBI-JU. Le projet vise à développer la première bioraffinerie tout-en-un au sein de la plateforme chimique « CHEMESIS » située à Carling Saint-Avold, en France. Elle créera de multiples chaînes de valeur basées sur la transformation des co-produits de l’industrie sucrière ainsi que d’autres matières premières de biomasse non alimentaire en acides organiques naturels et biosourcés pour diverses applications. La bioraffinerie aura un impact positif sur l’économie régionale en créant près de 60 emplois directs et jusqu’à 200 emplois indirects.

Le programme Horizon Europe

Passons maintenant à Horizon Europe et à l’accent mis sur l’innovation systémique ayant un impact économique, social et environnemental. Le deuxième pilier, qui représente 56% du budget global convenu de 99,5 milliards d’euros, comprend la partie du programme qui financera les partenariats industriels et la recherche plus proche du marché. L’objectif principal d’Horizon Europe, et en particulier du deuxième pilier, est de relever les défis mondiaux, notamment le changement climatique et les objectifs de développement durable. Un certain nombre de groupes correspondent à ces défis mondiaux, notamment le Cluster 6 : « Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement », qui comprend la contribution de la bioéconomie à la fourniture de biomasse durable, cultivée de manière à respecter les objectifs en matière de climat et de biodiversité et à préserver l’intégrité des écosystèmes, et sa conversion en produits et nutriments biosourcés en remplacement des produits fossiles et minéraux.

Le cluster 6 cherche également à promouvoir des solutions et des innovations biologiques à petite échelle dans l’agriculture à l’interface entre l’agriculture, l’aquaculture et la sylviculture, comme moyen de libérer le potentiel de la bioéconomie circulaire et de créer des emplois attrayants dans la communauté rurale. Cela s’aligne sur une réévaluation émergente du modèle de bioraffinerie dans le secteur de la bioéconomie, avec la reconnaissance que le modèle de grande bioraffinerie centralisée pour la production de bioénergie/biocarburants aura toujours du mal à concurrencer les méga raffineries fossiles, et que la meilleure approche est de chercher à déployer des bioraffineries régionales à plus petite échelle en utilisant des matières premières de biomasse locales pour la production de biomatériaux et de bioactifs de plus grande valeur. La dimension des partenariats européens au sein d’Horizon Europe sera également très présente, encourageant une large participation des partenaires des secteurs public et privé, tout en cherchant à aborder les priorités communes conjointement avec les États membres. Les partenariats chercheront à développer des synergies étroites avec les programmes nationaux et régionaux, en rassemblant un large éventail d’acteurs pour travailler à un objectif commun, et en transformant la recherche et l’innovation en résultats socio-économiques. Une nouvelle approche encouragera les projets à combiner le financement d’Horizon Europe avec des programmes complémentaires disponibles au niveau national, notamment les Fonds structurels et le développement rural, le FSIE et le mécanisme de relance et de résilience dans le cadre du mécanisme européen Covid Recovery Next Generation. L’alignement sur les stratégies régionales de spécialisation intelligente contribuera à réduire les risques liés aux investissements et à faciliter le développement des bioéconomies locales, régionales et rurales, comme indiqué ci-dessus.

Si le financement public et les investissements de l’industrie qu’il suscite peuvent continuer à stimuler le développement d’une bioéconomie fonctionnelle, il est également essentiel de rapprocher les investisseurs externes du secteur biosourcé. Le nouveau programme EIC Accelerator d’Horizon Europe (pilier 3 « Europe innovante ») a un rôle à jouer à cet égard, en aidant les PME les plus innovantes, y compris les start-up, à développer leurs idées dans tous les secteurs, y compris la bioéconomie. Cela donne de la visibilité et de la crédibilité et, comme le pilote d’Horizon 2020 l’a déjà montré, encourage souvent d’autres investisseurs à s’impliquer et à soutenir son insertion vers le marché.

Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement (BIE) et la Commission européenne ont lancé le Fonds européen pour la bioéconomie circulaire (250 millions d’euros) afin de relever le défi de rapprocher le capital et l’innovation pour libérer le potentiel économique de la bioéconomie circulaire. On espère que cela donnera, une fois de plus, une plus grande visibilité au secteur de la bioéconomie et aux rendements réalisables, encourageant ainsi d’autres investisseurs externes à rejoindre ce domaine.

Nos derniers articles