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L’industrie agroalimentaire, une grande puissance de la bioéconomie

Que nous rappelle la pandémie du Covid-19 ? La précarité du monde, la relativité des choses, l’incertitude du lendemain. Qu’accrédite-t-elle ? L’intérêt d’imaginer de nouveaux modèles de développement. La bioéconomie qui « porte l’espoir de pouvoir concilier une nouvelle dynamique industrielle, une revitalisation des territoires et une transition écologique » est une réponse ad hoc, dans toutes ses dimensions, et d’abord dans l’agroalimentaire. Malgré la montée en puissance des autres voies de valorisation de la biomasse, ce secteur pèse 56 % du chiffre d’affaires de la bioéconomie en France et fait partie des secteurs industriels les plus innovants.

« Dans le panorama global de la bioéconomie, confirme Frédéric Bouvier, Conseiller Science & Technologie chez Roquette et président de la commission Food & Feed d’IAR, l’agroalimentaire garde une part prépondérante pour la raison que la population mondiale continue de croître. C’est dans ce qui est issu du vivant qu’on va trouver la nourriture de l’être humain et des animaux qui, eux-mêmes, servent de nourriture aux êtres humains. » Le grand défi de la filière n’est pas seulement de produire en suffisance mais aussi d’évoluer en fonction de la demande sociétale.

Nutrition santé

Sans aller jusqu’à suivre la prescription d’Hippocrate : « Que ton aliment soir ta seule médecine ! », les consommateurs, sous l’influence des experts, manifestent une appétence pour les aliments sains et bons pour leur santé. Ce qui pousse les agro-transformateurs à œuvrer pour la réduction de la teneur en sel, en sucre et en lipides des aliments du quotidien, tout en veillant à préserver leurs qualités nutritionnelles et sensorielles. Grandes gagnantes de ce rééquilibrage alimentaire : les protéines végétales et les fibres. On ira bientôt plus loin : l’importante activité autour du microbiote intestinal devrait permettre d’affiner encore les connaissances sur le lien entre alimentation et santé et, à terme, de prodiguer des recommandations nutritionnelles adaptées au profil génétique de chaque individu.

L’apport du digital

Devenant plus conscient et plus exigent, le consommateur n’en attend pas moins de l’industrie agroalimentaire. De nouveaux outils permettent de répondre à ce besoin de transparence : de la blockchain qui peut faciliter la traçabilité dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire jusqu’aux applis mobiles de type Yuka ou Foodvisor qui détaillent la composition des produits pour guider l’acheteur dans ses choix. Le digital est aussi un auxiliaire de l’innovation et du développement sur l’axe alimentation-santé. Frédéric Bouvier : « Certaines entreprises exploitent par exemple l’intelligence artificielle pour aller chercher dans la nature des peptides qui ont un impact sur la santé du consommateur. Une fois qu’on a cherché, capté, identifié ces molécules d’intérêt, il s’agit soit de les concentrer pour qu’elles soient plus actives, soit de les faire produire par des microorganismes (par fermentation). »

Pour le plaisir

L’industrie agroalimentaire suit toutes ces pistes – et d’autres plus futuristes, comme la culture cellulaire ou l’impression 3D – sans négliger un facteur essentiel, particulièrement dans un pays qui a inscrit le « repas gastronomique des Français » au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité : l’alimentation doit continuer à avoir du goût et à être source de plaisir. Pour contenter le consommateur, on joue par exemple sur les arômes naturels, comme Metarom ou Lesaffre qui ont développé des gammes de microorganismes exhausteurs de goût. On travaille aussi la texture des protéines végétales pour leur conférer des propriétés sensorielles agréables ou on traite les fibres pour qu’elles soient imperceptibles au moment de la mise en bouche.

Économie circulaire

A ces tendances s’ajoute celle qui les domine et les relie : le souci de produire une alimentation le plus possible respectueuse de l’environnement. Toujours au nom de l’environnement, la filière est entrée en lutte contre le gaspillage des matières premières et de co-produits et se dirige vers une économie moins linéaire, plus circulaire. Dans le secteur des bioraffineries, on peut citer l’entreprise Ynsect qui produit des molécules d’intérêt en utilisant la capacité de bioconversion des insectes, à l’instar des microorganismes[1]. Ces molécules d’intérêts sont alors valorisées en tant qu’ingrédients à haute valeur ajoutée et peuvent être fonctionnalisées si nécessaire. Les larves sont ainsi transformées en poudre ou en huile (destinées à l’alimentation animale et des sols) et les coproduits (carapaces, déjections) sont également valorisés en additifs alimentaires. Même approche dans la bioraffinerie d’algues : 55 000 t. d’algues vertes s’échouent chaque année sur le littoral breton et pourraient être valorisées par la bioconversion. En partie utilisées pour l’épandage, elles restent toutefois moins rentables en azote que le compost à base de déchets verts. Afin de valoriser cette matière première fluctuante, le Groupe Olmix a investi dans une bioraffinerie capable de la traiter et d’en extraire les composés actifs pour une utilisation dans la santé et la nutrition animale.

Évolution des pratiques

Toutes ces questions mobilisent les grands industriels qui s’impliquent sous différentes formes. Engagé dans une démarche de certification B Corp, le groupe familial Bonduelle, qui compte 56 sites et 14 600 salariés dans le monde, s’attache à intégrer les objectifs de développement durable dans ses process. Stéphane Gauthier, Responsable portefeuille R&D pour le frais et relais pour IAR : « Nous avons un programme de réflexion en relation avec notre politique RSE : sur la conception d’emballages durables en limitant l’utilisation de plastique fossile (recyclabilité, substituts…), ou sur la valorisation des coproduits, notamment dans l’alimentation animale et la méthanisation. L’ambition est de réduire nos émissions de GES, nos consommations d’eau et d’énergie, d’optimiser les ressources tout au long du cycle de vie des produitsNos différentes Business Units intègrent ces ambitions dans leur stratégie. La R&D vient en support pour les alimenter sur des pistes innovantes à moyen et long terme. »

Un vrai défi

La chaîne agroalimentaire est-elle suffisamment armée pour relever le défi d’une production abondante, de qualité, à faible impact environnemental ? Voire. « Le problème est qu’elle doit faire face à des injonctions contradictoires, observe Denis Chereau, Directeur général d’IMPROVE, vice-président de la commission Food & Feed d’IAR. D’un côté, des objectifs de productivité pour pouvoir nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains à l’horizon 2050 ; de l’autre, le devoir d’assurer la transmission de la Terre dans de bonnes conditions à nos descendants » Ceci dans un contexte de multiples courants de pensée et militantismes alimentaires d’où n’émerge aucun consensus. Et avec un gap entre les aspirations du consommateur dans nos pays « riches » et les besoins nutritionnels fondamentaux des populations dans les pays en voie de développement.

Besoin d’anticipation

Il n’empêche, « La pression sur la ressource agricole et les produits agroalimentaires sera de plus en plus forte. Par conséquent, les producteurs d’aliments de qualité vont prendre un poids stratégique de plus en plus important. » L’agroalimentaire français est-il organisé pour répondre à ces enjeux mondiaux ? « On est très mal préparés, estime Denis Chereau. On ne fait que gérer la crise au lieu d’être dans l’anticipation. » En cause notamment l’abandon des grandes mesures de la PAC. « Il aurait fallu au contraire les renforcer pour soutenir notre agriculture qui souffre, la redynamiser sur des objectifs vertueux combinant productivité et durabilité. » Si on veut de la durabilité, misons davantage, selon lui, sur les légumineuses, réintroduisons de la diversité dans les rotations, travaillons à l’amélioration génétique des plantes pour qu’elles répondent encore mieux aux contraintes actuelles. « Une fois qu’on aura assuré cela, il faudra que l’industrie de transformation s’adapte aussi à cette nouvelle diversité. »

Élevage : l’oublié de la bioéconomie ?

Les travaux scientifiques relatifs à la bioéconomie font peu référence aux productions animales, si ce n’est à propos de l’utilisation des effluents d’élevage pour la production d’énergie par méthanisation. Une omission d’autant plus surprenante que « les systèmes d’élevage sont, à l’échelle de la planète, parmi les principaux utilisateurs de biomasse et les principaux utilisateurs des surfaces agricoles et qu’ils contribuent largement à la fertilisation des sols et aux apports alimentaires de l’Homme ». Faisant ce constat, des chercheurs de l’INRA et d’AgroParisTech2 ont souhaité, dans un article publié en 2019, leur redonner toute leur place et montrer leurs atouts (diversité des espèces, des pratiques et des bioressources consommées et produites) et leur contribution possible au développement d’une bioéconomie circulaire, que ce soit à travers les flux (matières premières, matières azotées, effluents, alimentation humaine) ou les interactions entre élevages et cultures à une échelle régionale.

IAR : aller plus loin dans la réflexion

IAR joue un rôle important dans le domaine d’activité stratégique de l’IAA. Par nature, il participe à la dynamisation de tout un écosystème et accompagne les structures sur le montage de projet de R&D, d’innovation et d’industrialisation. Il contribue par ailleurs à la réflexion sur tous les sujets d’intérêt identifiés avec ses adhérents, tels que : la gestion du stock protéique entre l’alimentation humaine et l’alimentation animale, le développement des procédés et des nouvelles technologies de transformation de la biomasse, les actions d’innovation autour du microbiote des animaux qui permettront de limiter l’utilisation de médicaments pour les maintenir en bonne santé. Sans oublier la naturalité et la sécurité alimentaire.

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