Entretien avec Olivier DAUGER, Référent climat-énergie Chambre d’agriculture France, Président de la Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France, Président de la communauté « Bioresources » de B4C.
Dans quelle situation sommes-nous par rapport à la question de l’eau ?
La pression sur l’eau est de plus en plus forte. Cette ressource qui nous paraissait abondante et facile à exploiter, est très impactée par le changement climatique. Nous rencontrons des problématiques de pluviométrie de plus en plus récurrentes, nos nappes s’affaiblissent rapidement. Ce qui pose bien évidemment la question de l’irrigation des cultures, mais pas seulement : l’eau est également très utilisée par l’industrie, pour la production énergétique et pour nos besoins domestiques (la part la plus importante de notre consommation)…
Nous constatons de plus en plus souvent des niveaux d’eau relativement bas, très tôt dans l’année, qui obligent à des restrictions de consommation fortes. L’eau est l’enjeu majeur du 21ème siècle. Et la pression sur cette ressource sera de plus en plus forte.
Avait-on anticipé cette possible raréfaction de la ressource ?
Pour ceux qui suivent l’évolution du climat, ce n’est pas une surprise. Globalement, sur une année, il tombe toujours la même quantité d’eau, mais elle se répartit désormais de façon très différente. Nous constatons d’importantes inondations à certaines périodes et des sécheresses intenses à d’autres. C’est le scénario annoncé depuis 15 ou 20 ans par les météorologues que nous voyons se réaliser aujourd’hui. Il y a bien sur des printemps humides de temps en temps, mais les périodes de sécheresses, et de sécheresses précoces, sont de plus en plus fréquentes. Les nappes ne se rechargent pas correctement. Nous devons réfléchir à des solutions dès maintenant. Nous pourrions stocker, avec des systèmes de bassins par exemple, les quantités d’eau abondantes lors des épisodes d’inondations, puisque c’est aujourd’hui une eau perdue, qui non seulement fait d’énormes dégâts, mais ne pénètrent pas durablement dans les sols. Ces réserves pourraient par exemple servir à l’agriculture en périodes de sécheresse, ou être relâchées dans les rivières quand les cours sont trop bas.
L’eau de réutilisation est également un sujet majeur. En France nous ne réutilisons quasiment pas l’eau des villes, elle est nettoyée, filtrée avant d’être rejetée dans les rivières. Cette eau pourrait tout à fait être utilisée, notamment dans les filières industrielles.
L’utilisation domestique est la première en termes de volumes. Le potentiel de réutilisation est très important.
Ce sont des pistes que nous devons explorer.
Comment la question de l’eau va-t-elle impacter la bioéconomie ?
La question que nous devons nous poser est : quelle biomasse pourrons-nous utiliser demain pour la bioéconomie ? Si la question de l’eau devient très tendue, il faudra faire des choix politiques, qui privilégieront en priorité la production alimentaire ; bien que la bioéconomie soit une nécessité pour nous aider à sortir du fossile… Nous serons probablement tiraillés.
Comment donc s’adapter pour que la bioéconomie poursuive son essor ?
Il faut que les acteurs de la bioéconomie intègrent la question de la transition agricole liée à l’eau. Nous pourrions déjà éviter les plantes trop gourmandes en eau par exemple. Ce sera compliqué de les cultiver demain, donc est-ce raisonnable de développer des filières de la bioéconomie avec ce types de plantes. A l’avenir, le sorgho n’a-t-il pas plus de chances de se développer que le maïs ? C’est une question à se poser dès maintenant.
Si la bioéconomie est une nécessité et une chance pour nos territoires, elle doit intégrer dès maintenant la question des ressources, et partir sur des plantes adaptées à un climat de 2°C de plus. Imaginer que la biomasse est une matière première disponible à volonté était peut-être vrai il y a quelques années, mais ça ne le sera plus forcément. Nous devons bien choisir les types de biomasses que nous voulons produire pour bâtir les futures filières de la bioéconomie. Je crois que la question n’est pas encore posée clairement. Nous devons nous projeter à 20 ou 30 ans.
Une entreprise comme Ynsect est dans cette logique : ils se sont posés la question des protéines animales, et ont choisi d’élever des insectes qui, pour la même quantité de protéines produites, consomment nettement moins de matières premières et utilisent beaucoup de moins de surfaces. C’est une façon d’anticiper et de faire évoluer la filière de production des protéines animales.
Toute la difficulté de cette anticipation est qu’en agriculture, nous sommes sur des cycles longs. Les acteurs de la bioéconomie ne peuvent travailler qu’à partir de biomasses disponibles. Pas encore sur celles à venir… C’est une des difficultés rencontrées aujourd’hui. Malgré tout, je pense que nous devons partir de biomasses qui prennent en compte les évolutions du climat pour bâtir les futures filières de la bioéconomie.
Toutes les biomasses sont-elles amenées à évoluer ?
Nos forêts souffrent déjà du réchauffement climatique. L’ONF, comme les exploitants privés, plantent déjà des variétés d’arbres qui poussent avec 3 ou 4 ° C de plus… Ils ont intégré dans leur filière la nécessaire adaptation des forêts aux changements climatiques. Mais cette biomasse ne sera pas disponible avant de nombreuses années.
Il en va de même avec toutes les filières de production de biomasse : elles devront évoluer. La silphie par exemple, une plante économe en eau et en produits phytosanitaires, pourrait être de plus en plus cultivée pour alimenter le bétail ou les méthaniseurs. Les argentins ont développé un blé génétiquement modifié qui produit la même quantité de grains qu’un blé traditionnel, en consommant deux fois moins d’eau. Des solutions existent pour adapter nos productions de biomasses. Nous devons travailler à les mettre collectivement en œuvre.
Quel rôle doit jouer le réseau B4C sur cette question de l’eau ?
Il doit l’intégrer dans sa vision du développement des filières de demain. C’est un des éléments majeurs de l’équation. Il n’y aura pas de développement durable, de bioéconomie, sans eau. Il faut tenir compte des forces et faiblesses de toute la filière ; il est nécessaire d’anticiper, de prévoir, pour la construire sur le long terme. B4C doit être un acteur et un artisan de cette construction, en accompagnant l’ensemble des acteurs de la filière dans l’anticipation et l’adaptation à la raréfaction de l’eau.