Les algues constituent un réservoir de biomasse illimité et encore sous-exploité où gît une matière première clé pour notre futur. L’intérêt et l’espoir des acteurs de la bioéconomie sont élevés. Nouvelles substances, nouvelles souches, nouveaux procédés, nouveaux marchés : la France a rejoint le mouvement d’innovation qui cherche à tirer le meilleur parti des caractéristiques intrinsèques et du haut potentiel de cette ressource renouvelable.
Un sujet mobilisateur |
« La mer est un vaste réservoir de composés chimiques, les algues travaillaient pour l’industrie, en condensant, dans leurs tissus, les sels que les eaux où elles vivent contiennent en faible proportion. Aussi le problème consistait-il à extraire économiquement de ces algues tous les composés utiles. » En 1884, Émile Zola créait un personnage de roman1 qui allait s’enflammer pour un projet d’exploitation des algues, considérées par lui comme un trésor de la nature pouvant faire sa fortune. Prometteuses dans la littérature naturaliste du 19e siècle, les algues sont aujourd’hui un sujet très inspirant pour la recherche et très mobilisateur pour l’industrie. Proliférant dans les milieux aquatiques, elles renferment des molécules originales d’une richesse, d’une hétérogénéité et d’une diversité incomparables avec les ressources terrestres, qui ouvrent pour l’humanité des perspectives colossales quand on sait qu’il en existe des myriades d’espèces, dont seuls quelques milliers ont été identifiés et une infime partie est exploitée. Même si l’Asie a des longueurs d’avance, nous n’en sommes tous qu’aux prémices de la valorisation de cette biomasse incommensurable.
« Filières du futur » |
Après le colloque « Algues, filières du futur » et le Livre turquoise consécutif qui ont été, il y a 10 ans, la première manifestation d’une action fédératrice2 pour promouvoir sur le territoire français l’utilisation de leurs propriétés biologiques, le rapport du CGAAER3 sur « Le développement de la bioéconomie bleue » a confirmé en 2019 l’importance stratégique de ces activités, encore insuffisamment mises à profit et soutenues, alors qu’elles sont susceptibles de répondre de façon durable non seulement aux besoins alimentaires mais aussi à une partie des besoins en matériaux et en énergie. Où en est-on aujourd’hui ? Le webinaire organisé par IAR avec et pour ses adhérents en juin 2020 a permis de dresser un panorama des savoirs sur cette ressource et de prendre la mesure de son potentiel, en distinguant les filières macro-algues (grandes algues fixées au fond de l’eau) et micro-algues (algues microscopiques flottant en pleine eau) dont les modes de culture, les techniques de récolte, les process de transformation, les marchés, les axes d’innovation peuvent différer.
Les macro-algues |
La filière macro-algues est mature et en croissance soutenue depuis quelques années, stimulée par le continent asiatique qui est le principal producteur et consommateur mondial. ¾ des 27 millions de tonnes de macro-algues exploitées industriellement sont destinées à l’alimentation humaine. Riches en fibres, minéraux et protéines, elles sont utilisées fraîches ou transformées (hydrocolloïdes, carraghénane, alginate, agar-agar…), sous forme d’additifs de rhéologie qui permettent de texturer les aliments ou directement en cuisine (asiatique, condiments, légumes d’accompagnement). Le restant se répartit entre les secteurs de la santé (antiviraux et autres molécules actives), de la cosmétique (gel, masques, dentifrice, antirides…) de l’agriculture (engrais, fertilisants…), de l’environnement (traitement des eaux usées), des additifs pour animaux. La France se situe au 10e rang mondial. 90 % des 75 000 tonnes de macro-algues qu’elle produit annuellement sont récoltées en Bretagne nord, principalement pour l’industrie des colloïdes alimentaires. Les acteurs français rivalisent d’ingéniosité pour développer une nouvelle génération de produits : tartare de la mer, madeleine de la mer, thé aux algues, saumon végétalien…
Les micro-algues |
En forte progression depuis cinq ans, la filière micro-algues est parvenue à un stade de développement industriel mature sur des produits à haute valeur ajoutée, fournis en quantités limités aux marchés cosmétique, agro-alimentaire, nutraceutique. À partir des micro-algues, on ne produit actuellement dans le monde que 16 000 tonnes de matière sèche par an (quelques dizaines en France), qu’on utilise pour leur teneur en pigments, lipides, protéines, polysaccharides et autres vitamines. Au-delà de la très populaire spiruline, elles sont en devenir sur des marchés de masse (pisciculture, santé…) et de nouvelles applications (dépollution des effluents gazeux) et présentent un fort potentiel à moyen et long terme sur des marchés intermédiaires (alimentation animale, agriculture), et pour des produits de commodités (chimie verte, biomatériaux, carburants…). Pour accélérer ces développements, les principaux acteurs français de la filière, en partenariat avec quatre pôles de compétitivité dont IAR, se sont regroupés fin 2015 au sein de l’association France Micro-Algues (FMA).
Structurer et harmoniser |
Faisant la synthèse de publications récentes4, Ronan Pierre, responsable du département Innovation & Produits au CEVA5, a noté pour la filière algues dans son ensemble une convergence des constats et des recommandations, qui peuvent être ramassés en quatre points. « Nous sommes en présence d’une grande diversité d’acteurs : récoltants, producteurs, utilisateurs industriels… dont une forte part de PME. Les rassembler et structurer cette filière parfois dispersée est une nécessité pour renforcer leur représentation et leur poids, notamment dans l’optique de faire évoluer une règlementation qui n’est pas toujours propice au développement. » Harmoniser le contexte règlementaire et normatif européen s’avère tout autant prioritaire. « D’un pays à l’autre, les politiques, les espèces autorisées, les procédures sont différentes. On a besoin de normalisation. La Commission européenne a engagé les préliminaires en créant un groupe de travail « algues et algo-produits », avec un groupe miroir en France que pilote le CEVA. »
Garantir la ressource |
Autre grand enjeu de la filière : sécuriser l’approvisionnement, c’est-à-dire garantir la ressource en qualité, en durabilité, en prix et, bien sûr, en quantité. Sachant qu’en Europe 99 % des algues exploitées proviennent de la récolte, alors que dans le monde 95 % sont issues de l’algoculture. « L’algoculture n’est donc pas une option en Europe si l’on veut développer le volume de biomasse disponible et utilisable, sans exercer une pression trop forte sur les populations naturelles. Il reste beaucoup de travail pour développer la filière de production. avec le souci de réduire les coûts, mais les choses s’amorcent. » Enfin, la question de la valorisation économique se pose aussi avec une grande acuité. « Il faut favoriser le transfert de technologie et de savoir-faire, de même que l’accès aux plateformes, et avant tout il faut développer la bioraffinerie qui est un enjeu majeur pour valoriser les macro-algues au mieux et valoriser intégralement la matière. » Ce qui nécessite de faire sauter des verrous technologiques, d’améliorer les procédés et d’ouvrir le champ des applications.
Optimiser la valorisation |
C’est à quoi s’emploient la recherche et les têtes de réseaux telles qu’IAR. Jacky Vandeputte, directeur scientifique, responsable Innovation Bioéconomie à IAR : « Depuis de nombreuses années, les stratégies de valorisation des biomasses marines et aquatiques se sont concentrées sur la valorisation d’un composant ou d’un ingrédient principal ou d’un extrait spécifique aux activités biologiques. Les travaux de R&D se tournent désormais vers des procédés de bioraffinerie pour maximiser la valorisation des différents composants de la biomasse marine et aquatique avec des approches multi-sectorielles. » Au sein d’IAR, les discussions vont bon train : pour les micro-algues, sur le changement d’échelle, la diminution des coûts, l’ouverture des marchés à basse valeur ajoutée ; pour les macro-algues, sur la possibilité de créer de grandes productions off shore. Quoi qu’il en soit, le moment est favorable à l’expansion de cette filière innovante qui peut contribuer aux enjeux globaux : au changement climatique et à la transition énergétique, à la sécurité alimentaire et à la santé pour tous, à l’aménagement territorial équilibré mais aussi au développement d’activités économiques locales et d’emplois non délocalisables.
1 La Joie de vivre, 1884
2 À l’initiative de quatre Pôles de Compétitivité – Industrie et Agro-Ressources, Mer Bretagne, Mer PACA et Trimatec – la filière Atlanpole BlueCluster, le CEA-DSV et deux industriels – Fermentalg et Veolia – auxquels se sont joints Roquette, EADS, Ifremer et le CEVA (Centre d’Étude et de Valorisation des Algues).
3 Conseil général de l’alimentation de l’agriculture et des espaces ruraux
4 Centre d’étude et de valorisation des algues
5 Notamment : rapport « Le développement de la bioéconomie bleue » 2019 (CGAAER), Livre blanc « European Guidelines for a Sustainable Aquaculture of Seaweed, PEGASUS » 2019 (réseau PHYCOMORPH), Seaweed Manifesto 2020 (Lloyd’s Register Fondation)
IAR immergé dans la bioéconomie bleue De nombreux adhérents d’IAR sont positionnés sur la filière algues (Roquette, Algosource, Algama, Olmix, Biotech Marine, Algosolis, Kyanos, GRT Gaz, ALFA LAVAL, SUNOLEO, FLUID AIR, GEA, Flottweg, JRS RETTENMAIER…) pour des applications diverses : pharmaceutique, cosmétique, biocontrôle, alimentation humaine, animale. Le pôle se trouve à la confluence de projets, portés par ses adhérents, accompagnés dans leur montage voire labellisés, parmi lesquels : I-CHEMALGAE sur le profilage chimique des microalgues ; ZYMALGO sur la valorisation des microalgues par un éco-procédé enzymatique ; OCEANOMICS sur la biotechnologie et les bioressources pour la valorisation des écosystèmes marin planctoniques ; Algues 4 Biométhane pour la production de biométhane à partir d’algues. IAR est également partenaire du projet européen NENU2PHAR, qui vise à développer une nouvelle chaîne de valeur européenne pour la production de bioplastiques à base de PHAs (Polyhydroxyalkanoates) issus d’une ressource durable (microalgues) et avec une fin de vie maitrisée. Devant la montée en puissance du sujet auquel il s’intéresse depuis 2010, le pôle a engagé la création d’un groupe de travail dédié à la bioéconomie bleue pour favoriser les échanges et les projets collaboratifs, identifier les opportunités, présenter les travaux de R&D. Le processus a commencé par trois rencontres préfiguratrices : organisation en 2019 d’une journée « Micro-algues et algoraffinerie » avec visite de la plateforme Algosolis qui possède plusieurs démonstrateurs et organisation en juin et septembre de deux webinaires « Biomasse marine : plongez au cœur de l’innovation et des marchés » et « Bioéconomie bleue ». Lancé le 12 novembre 2020, le nouveau GT s’est virtuellement réuni autour d’un programme très dense, assorti de deux ateliers, l’un sur l’écologie industrielle, l’autre sur les molécules HVA. Prochaine réunion le 2 février 2021. |